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Ballade à travers des locutions.
10 juin 2019

Qui suis-je ?

 

Mon univers, une prose intelligible, ponctuée par une succession de locutions qui veulent exprimer quelque chose. 

La phrase se déploie, touche la cime du connoté, puis s'échoue délicatement sur un point final qui encadre sa décadence.  

Des phrases pour vous parler de ma liberté conditionnelle. Celle qui encercle mon être. 

J'ai toujours été une âme solitaire.

Dans la vraie vie, je me dois d'entrer dans la peau d'un personnage avec de nombreuses figures, avatars et déclinaisons.

Parfois, quand je suis seule et je laisse l'introspection effleurer les pans de mon esprit, j'en ris. D'un côté, il y a le "moi" qui paraît. D'un autre côté, il y a le véritable "moi". Lui, ce "moi" clandestin, voilé derrière une surface presque opaque comme une sous-couche de peinture. 

Le véritable "moi" est une âme sensible, profondément aimante et optimiste. Le "moi" en surface est un animal sociable superficiel, distant, abstrait, détaché et frivole. C'est un faux-moi, comme une rangée de faux-cils collés sur des vrais.  

Quand j'étais plus jeune, beaucoup de personnes m'ont psychanalisée.

En primaire, j'étais un enfant heureux. En CP, j'étais fière d'avoir appris à lire. En CE1, j'établissais ma première bibliographie.

En CM1, je lisais en cachette les livres de ma mère: "Les Misérables" de Victor Hugo, "Le Comte de Monte-Cristo" d'Alexandre Dumas, ses journaux d'enquête policière "Le Nouveaux Détective". . . Je me souviens même d'avoir lu en cachette la biographie de Jean-Luc Lahaye.

Lorsque ma mère s'aperçut que je lisais ses livres (je les empruntais la nuit et les lisais sous la lumière de la lune), elle se mit en colère car elle avait peur que j'abime mes yeux. Elle m'installa une lampe de nuit et mis en place un rituel : chaque samedi elle m'emmenait acheter un livre. À partir de ce moment, je lisais tout ce qui me tombait sous la main, méticuleusement, avec avidité et intérêt. 

Au collège, une forme d'urgence apparut. Cette urgence était celle de mourir pour renaitre autrement.  

Je me souviens de ma première expression-écrite qui correspond à la mort de mon innocence d'enfant.  

C'était en classe de cinquième, le professeur avait donné une expression-écrite libre. Je décidais d'écrire une nouvelle policière sous la perspective d'un meurtrier schizophrène. À travers l'écriture, je me libérai, complètement. 

Le professeur avait été agréablement surpris par mon expression-écrite et l'avait lu devant la classe. Quand il eut terminé, le professeur se mit à applaudir, mais les camarades n'applaudirent point. 

Mes joues se mirent à rougir, je baissai la tête honteusement, la boule à la gorge, je retins très fort mes larmes qui finirent par se libérer d'elles-mêmes et rouler le long de mes joues comme des petites rivières. J'aurais voulu qu'on reconnaisse mon écriture, mais à la place, ce fut un silence glaçant avec les pensées moqueuses de mes camarades qui flottaient au dessus de cette intervalle muette. 

Le professeur s'approcha de ma table et se mit à mon niveau, il me chuchota avec un petit sourire :

"Ne pleure pas. Angélique, tu as les yeux qui brillent. Ne pleure pas."  

La récréation venue, je m'assis seule, je me calmai et recollectai mes pensées. Deux camarades vinrent à moi et me dirent:

"On ne peut pas être ton amie. On sait pas pourquoi. Désolé. "

 

À ces mots, un éclair de ludicité me traversa l'esprit et je compris une chose essentielle.

 

Je compris que mon innocence était morte.  

 

Une mort instantannée, amorphe, immobile. Je passai le reste de ma scolarité au collège dans un état de mort émotionnelle. Plus rien ne m'affectait. Je ne travaillais plus, je n'avais plus goût à rien mis à part la musique et la danse qui me permettaient de m'évader de manière elliptique. 

 

 

Comme j'étais morte émotionnellement, j'appris à libérer ma conscience de mon corps et je la laissais flotter sur le monde extérieur. En apesanteur. Ici et là. En d'autres termes, j'appris à me poser spectatrice de ma propre vie. 

Quelques années plus tard, au lycée, j'entrais dans la peau de mon personnage fictif. J'étais capitaine de l'équipe de volley-ball, populaire, assortie de vêtements de luxe et élève studieuse. Toutes les personnes qui m'avaient rejeté au collège m'admiraient. Ma différence était devenue ma plus grande force. 

En plus d'avoir des amis sur qui compter, j'avais également l'écriture qui m'accompagnait partout comme un joyeux spectre.

Malgré le fait d'être devenue populaire, il m'arrivait de me poser en retrait. Je m'asseyais dans un coin, faisant semblant de lire un livre, et j'observais du coin de l'oeil les gens interagir entre eux. Je les observais, sans l'ombre d'une intention, juste pour le plaisir d' apprécier le flottement de leur humanité. 

Un jour, mon professeur d'EPS vint à ma rencontre. Il me dit :

"Il se passe beaucoup de choses dans ta tête. Ce sont des choses qui dépassent les pensées d'une jeune fille de ton âge. Tu regardes quoi ?"

Je lui répondis: 

"Il se passe rien. Je ne regarde pas les gens, je les contemple. Je contemple les gens parce que je trouve que la vie est belle. La vie qui s'anime dans le corps des gens. C'est beau. Vous trouvez pas que c'est beau ? J'aime bien complimenter les gens. J'aime bien rappeler aux gens des choses qu'ils ne voient plus. Et vous, si vous voyiez votre femme, rappelez-lui qu'elle est belle. Ça changera le cours de beaucoup de choses. Un instant, une journée et peut-être une vie." 

Il resta interloqué pendant quelques secondes, puis un sourire se dessina sur ses lèvres comme une demi-lune silencieuse. Il s'accroupit vers moi et me pinça la joue affectueusement de ses deux doigts:

"Angélique, je ne comprends pas tout ce que tu dis. Qu'est ce que tu veux dire par une vie ?" 

"Je ne sais pas, monsieur. Je n'ai pas réponse à tout. N'écoutez pas tout ce que je dis. Tout ce que je dis n'est pas vrai. C'est l'intuition j'crois." 

"Si j'écoute. J'écoute. Ça me fait réfléchir." 

Je poursuivis le lycée jusqu'à la terminale où j'eus estimé que ma scolarité était complète. J'annonçai à ma mère:

"Maman, je n'ai plus envie d'aller au lycée. Je sais ce que je dois faire, j'irai passer le bac toute seule. Est-ce que ça te dérange ?"

Ma mère me répondit:

"J'ai confiance en toi. Fais ce que tu as à faire."

Aujourd'hui, je garde cette ligne de conduite, je "fais ce que j'ai à faire".

Je le fais complètement. À la différence que chaque tâche est menée à son terme. De moi-même, je me serais reposée dans mes rêveries.

Mais pour le bien des autres, je mène plusieurs combats. Il y a beaucoup de gens qui comptent sur moi . . . et qui croient en moi. L'amour des gens me rappelle à la vie réelle. Il y a également beaucoup d'amour en moi. 

Je m'abandonne à ceux que j'aime. Librement. 

Quant à ma vraie personnalité, tel un suspect, j'aime envoyer les gens sur des fausses pistes. En général, les gens se sentent mieux lorsqu'ils ont l'impression de comprendre, car comprendre quelque chose est une forme de contrôle.

Je ne veux pas qu'on me comprenne. Je ne veux pas qu'on me psychanalyse. On m'a trop longtemps psychalysée. Je me souviens qu'en CP, j'étais dans un groupe d'élèves séparé.

Nous n'avions pas de maîtresse, mais une orthophoniste. Elle nous parlait doucement, faisait de grands gestes et nous demandait de résoudre des problèmes. Elle nous donnait des biscuits au beurre pour nous récompenser. Un jour, je lui demanda: 

"Pourquoi vous me parlez si lentement. Et pourquoi je suis exclue. Est ce que j'ai fait quelque chose de mal ?" 

Elle me répondit: "Tu veux que je te parle avec des mots d'adulte." Je lui répondis que oui. Plus exactement:

"Maman me parle toujours normalement. Je veux qu'on me parle normalement." 

Elle fit une pause et se lança "Je ne sais pas si tu es autiste, intellectuellement précoce ou dyslexique. J'essaie de comprendre ta pathologie. Est ce que tu aimes les zèbres ?"

"Vous me posez des questions mais vous avez déjà des idées fixes. Vous savez ce que c'est une idée fixe ? Vous trouvez que je suis différente, parce que vous, vous ressemblez à tout le monde. Alors je vais faire semblant d'être normale comme ça je n'aurais plus à venir à vous voir même si je vous aime beaucoup."

Mes mots firent un petit voyage intérieur dans son esprit. Je me souviens clairement de tous ces échanges qui m'ont marqués; Je ne veux plus qu'on lise en moi. 

Parfois, certaines personnes traquent mon identité et persistent car elles veulent savoir qui je-suis réellement.

Alors, soit, je pars en cavale. Soit, je me rends. Je me rends car je m'autorise à être vulnérable et sensible avec des personnes qui m'inspirent la confiance. Pour le reste, je suis un suspect, libéré de ses chaînes, que l'on pourchasse et que l'on piste. 

Comme ma mère le dit:

 

"Tu es née libre, même si l'on te contraint." 

 

Je saisis aujourd'hui ma liberté conditionnelle pour vous écrire en tant que "moi-sous-couche-de-peinture". 

 

 

 

 

 

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